La revue Légion https://legionmagazine.com/fr Wed, 07 Aug 2024 17:44:55 +0000 en-US hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.6.1 Repoussés à Beauport https://legionmagazine.com/fr/2024/08/repousses-a-beauport/ Wed, 07 Aug 2024 17:38:58 +0000 https://legionmagazine.com/fr/?p=6610
Une gravure à l’eau-forte des alentours de 1770 représente la bataille de Montmorency du 31 juillet 1759 près de Québec (en regard).
Toronto Public Library/JRR65

Pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763), la Grande-Bretagne était décidée à s’emparer de la Nouvelle-France. En 1759, elle envoya une imposante flotte sur le fleuve Saint-Laurent forte de 7 000 soldats commandés par le major-général James Wolfe.

Elle arriva à Québec le 26 juin. Wolfe réalisa vite que le meilleur endroit où débarquer ses troupes était à la rive de Beauport, juste à côté de Québec, sur la rive nord du Saint-Laurent.

Le lieutenant-général Louis-Joseph de Montcalm, commandant des forces françaises, l’avait bien deviné, et il avait fait construire d’importantes défenses sur 10 kilomètres entre les rivières Saint-Charles et Montmorency. Des milliers de soldats français étaient fermement retranchés sur l’escarpement surplombant le rivage, et chaque maison y était fortifiée. Les hauteurs s’étendaient jusqu’à la rivière Montmorency, qui prend ensuite une gorge escarpée célèbre pour sa haute chute d’eau se déversant dans le Saint-Laurent. Le littoral peu profond et les bancs de vase en contrebas étaient protégés par des redoutes hérissées de canons tandis que des batteries d’artillerie flottantes manœuvraient non loin.

Le plan de Wolfe était de faire débarquer des troupes sur la côte rocheuse de Beauport pour aller détruire l’une des grandes redoutes françaises située à 1,6 km à l’ouest de la chute Montmorency. Cela permettrait aux renforts de débarquer en toute sécurité et, espérait-il, amènerait les Français à abandonner leurs positions sur les falaises pour s’engager dans une mêlée générale. En même temps, une force de 2 000 Britanniques qui avait débarqué à l’est de la chute les 8 et 9 juillet traverserait la rivière à un gué peu profond et attaquerait le flanc gauche bien protégé des Français.

La Grande-Bretagne était décidée à s’emparer de la Nouvelle-France.

Le 31 juillet à midi, la bataille de Montmorency commença lorsque le HMS Centurion, navire de guerre de 60 canons, et deux bâtiments de transport de troupes armés de 14 canons chacun se mirent à bombarder les redoutes françaises. Mais, ils n’eurent que peu d’effet.

Wolfe s’aperçut vite que le rivage était largement à portée de mousquet des soldats français placés en haut de la falaise, et que ses troupes seraient à découvert. L’attaque continua quand même.

Alors que les soldats britanniques venant de l’est traversaient lentement la rivière Montmorency, vers 18 heures, Wolfe fit débarquer ses meilleures unités : 13 compagnies de grenadiers aguerris et 200 soldats du 60e (Royal Americans), environ 1 500 hommes en tout. Ils seraient appuyés par les presque 2 000 soldats de la deuxième vague qui débarque-raient ensuite. Les Français se retirèrent sagement de la redoute, puis ils soumirent les grenadiers à des tirs meurtriers d’en haut.

Les soldats britanniques du major-général James Wolfe (ci-contre) finirent par être repoussés par la force française du lieutenant-général Louis-Joseph de Montcalm (à droite).
James Highmore/Wikimedia; Archives de l’Ontario/Wikimedia

William Hunter, aspirant de marine britannique, fut témoin de la scène : « Nos hommes étaient terriblement exposés et incapables d’avoir le moindre effet sur l’ennemi. » Sans attendre les ordres, ni même les renforts qui avaient commencé à débarquer, les grenadiers d’élite se lançaient furieusement à l’assaut des retranchements français.

Selon le capitaine John Knox qui en fut témoin oculaire, les grenadiers mal disciplinés étaient « impatients d’acquérir de la gloire ». Ce fut un massacre : des dizaines d’hommes trop près les uns des autres furent victimes de la concentration massive des balles et de la grenaille des mousquets français.

Un orage soudain et violent transforma « la pente abrupte en glissade d’eau. Ne pouvant ni tirer ni s’avancer, les grenadiers rebroussèrent chemin en patinant et en trébuchant », a écrit l’historien D. Peter MacLeod. Wolfe fut témoin de l’attaque futile des grenadiers et la décrivit objectivement comme étant « une marche chaotique et un comportement étrange ».

Mais, voyant que la situation était désespérée, il ordonna l’évacuation immédiate du rivage de Beauport et le retrait de la colonne de troupes de Montmorency. Les victimes britanniques se chiffrèrent à 210 morts et 233 blessés. Chez les Français, il n’y avait eu que 21 morts et 46 blessés, tous victimes de l’artillerie.

Wolfe écrivit ceci par la suite : « La faute […] je l’endosse entièrement. »

Six semaines après, Wolfe défit Montcalm aux plaines d’Abraham, lors d’une bataille qui mena finalement à la perte de la Nouvelle-France et qui couta la vie aux deux généraux.

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L’équipe C.-B.–Yn remporte le titre aux fléchettes https://legionmagazine.com/fr/2024/08/lequipe-c-b-yn-remporte-le-titre-aux-flechettes/ Wed, 07 Aug 2024 17:14:49 +0000 https://legionmagazine.com/fr/?p=6606
Rodney Tobin de Terre-Neuve-et-Labrador a remporté le championnat national de fléchettes des simples de 2024 de la Légion.
Stephen J. Thorne/RL

L’équipe Colombie-Britannique-Yukon a inscrit cinq enchainements de trois parties en neuf matchs, égalisant avec l’Ontario, aux jeux règlementaires des équipes lors du tournoi national de fléchettes de la Légion à Laval, Québec, le 5 mai. Elle a ensuite remporté le titre en gagnant les deux derniers matchs d’une série éliminatoire.

Les quatre hommes de Kamloops, Bryce Book, Dalton Desmarais, Chris Purdy et Jim Brown, ont ainsi mené l’équipe Colombie-Britannique-Yukon à sa toute première victoire nationale des équipes de fléchettes. L’Ontario avait remporté les trois parties de son match de poule.

Le capitaine vainqueur, M. Book, a déclaré que son équipe n’avait pas regardé le tableau de pointage avant la fin du dernier des matchs de sa poule à la filiale Chomedey de la Légion.

« Et puis on a vu les scores, et tout à coup, on était à égalité, explique-t-il. Waouh. Quelle façon de finir une journée !

« Les gars avaient même rangé leurs fléchettes. J’ai dit, “Hé, les gars, apparemment, on va aux matchs éliminatoires”. C’était fou. Ils n’étaient pas du tout au courant. »

Rodney Tobin de Terre-Neuve-et-Labrador a remporté le titre des simples le premier jour des compétitions, tandis que le duo Nouvelle-Écosse-Nunavut, composé de Coady Burke et Jason Smith, a gagné celui des doubles pour la deu-xième année consécutive.

Le dimanche des jeux des équipes a connu bien des rebon-dissements. La formation en première place a changé neuf fois, et six équipes ont momentanément détenu ou partagé la première place.

Après trois balayages consé-cutifs, le quatuor d’Oshawa, Ontario, formé de Jeremy Howell, Derrick Hynes, Dean Persad et Mark Matereo, a remporté 18 victoires au cours de huit tours, profitant donc d’une avance d’une victoire devant l’équipe Nouvelle-Écosse-Nunavut avant le dernier set.

À deux points derrière, l’équipe Colombie-Britannique-Yukon a disputé son dernier match, remportant les trois parties et infligeant ainsi à l’Île-du-Prince-Édouard son septième jeu blanc de la journée. Les gars de Dartmouth, Nouvelle-Écosse, n’ont obtenu qu’une seule victoire contre le Québec et ont dû se retirer de la compétition, tandis que la victoire unique de l’Ontario, qui avait perdu deux parties contre le Québec, lui a suffi à atteindre les éliminatoires.

L’Ontario a remporté la première des parties au tour supplémentaire, mais l’équipe Colombie-Britannique-Yukon
l’a pris de vitesse et gagné les deux dernières.

« Je crois que [la clé des] fléchettes, en gros, en particulier pour une équipe de quatre hommes ou même pour toute épreuve d’équi-pe, c’est de jouer avec des gens avec qui vous êtes à l’aise et avec qui vous passez un bon moment, souligne M. Book, chef d’un restaurant de la chaine Moxies.

« Il n’y a pas d’animosité entre nous. Nous avons eu de mauvais lancers aujourd’hui; et nous en avons aussi eu beaucoup de bons, évidemment. Mais, on se soutient, on s’entraide et on se concentre sur le jeu. Et notre groupe fait ça bien. »

Chris Purdy, Jim Brown, Bryce Book et Dalton Desmarais de C.-B.–Yn ont remporté le championnat national par équipe de la Légion en 2024. Coady Burke (en dessous et à gauche) et son coéquipier Jason Smith de Nouvelle-Écosse–Nunavut célèbrent leur victoire aux éliminatoires chez les doubles.
Stephen J. Thorne/RL

Même histoire du côté de M. Smith et de M. Burke, amis et coéquipiers de longue date qui se sont retrouvés en série éliminatoire après avoir perdu 2 à 1 contre Rod Petten et Warren Cheeseman de Conception Bay, Terre-Neuve, lors du dernier match de la poule. Les deux duos comptaient 20 victoires chacun.

Les Néo-Écossais ont remporté la ronde supplémentaire 2 à 1, ce qui leur a donné leur deuxième titre consécutif chez les doubles. Ces deux coéquipiers, membres de la filiale Centennial de Dartmouth, avaient remporté le titre chez les équipes de quatre avec l’aide de membres de la filiale MacDonald Memorial de Lakeside, Nouvelle-Écosse, en 2018 et en 2019 avant que la Covid n’interrompe le tournoi pendant trois ans.

M. Smith, inspecteur d’aliments, et M. Burke, ferronnier, se connaissent depuis plus de dix ans. Ils ont remporté une épreuve les quatre fois qu’ils ont concouru à l’échelle nationale.

Leur secret ?

« Les atomes crochus, nous confie M. Burke. L’amitié. L’amitié, c’est fondamental. On se connait depuis des années. On a souvent joué aux fléchettes l’un contre l’autre. Et quand on a finalement joué ensemble, on s’est vraiment bien entendus.

Jason est un marqueur fort […] une machine à [marquer des] 140. Donc, si je réussis vite un double d’entrée, on a l’avantage contre beaucoup d’équipes. Je le sais, et lui aussi. »

John Hannon, de l’Alberta–Territoires du Nord-Ouest, a bien réussi chez les simples, inscrivant 12 victoires en balayant ses quatre premiers matchs. Mais, il n’en a gagné que cinq pendant le reste des jeux, car Rod Tobin de Conception Bay a inscrit des points sans relâche, bien qu’avec un seul ba-layage à son actif, dans un tournoi à 18 victoires dans sa poule.

M. Tobin, propriétaire d’une entreprise de toiture, ne se souciait pas du classement lui non plus, et il ne savait pas qu’il était en position de gagner avant la fin de son dernier match.

« Il ne faut pas prêter attention au tableau, a-t-il dit après avoir disputé sa première épreuve nationale en simple. Sinon, on se met la pression.

Je n’ai fait que venir, lancer mes fléchettes, et espérer que tout se passe au mieux. »

M. Hannon a terminé le tournoi en poule en deuxième place à égalité avec Sylvain Boudreau de Dorval, Québec, à 17 victoires.
Ils ont joué tous deux un tour supplémentaire, et c’est M. Boudreau qui a gagné.

La filiale Chomedey a été formée sur l’ile, au nord de Montréal, en 1963, quand une douzaine d’anciens combattants de divers régiments de la Seconde Guerre mondiale ont commencé à se réunir dans un sous-sol situé dans un coin qui était alors la campagne.

La filiale louait un petit bâtiment près de son emplacement actuel, qu’elle a acheté en 1972. Elle loue le rez-de-chaussée à un traiteur. Christopher Wheatley, chef cuisinier et agent des services de la filiale, note que le nombre de membres a culminé à environ 500 vers 1973-1974. Il se chiffre aujourd’hui à 165. Une poignée d’entre eux à peine sont d’anciens combattants.

« Ce n’est pas facile, explique Dean McKay, président de la filiale. Mais, nous avons de la chance. Nous avons un bon groupe de personnes ici, et nous avons pu louer en bas, ce qui nous permet de rester à flot.

Nous faisons beaucoup de travail caritatif pour la collectivité, en plus de la campagne du coquelicot. »

Il nous a dit que la filiale, qui a gagné au championnat national de cribbage en 2004, a appris il y a deux ans qu’elle accueillerait celui des fléchettes. Il a remercié les dizaines de bénévoles qui ont participé à la planification et aux préparatifs.

« Sans eux, rien n’aurait été possible. »

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La force canine https://legionmagazine.com/fr/2024/07/la-force-canine/ Mon, 22 Jul 2024 17:08:04 +0000 https://legionmagazine.com/fr/?p=6598
Muggins le chien de collecte de fonds figura sur des cartes postales (au centre et en regard en bas), reçut des médailles et posa même pour une photo avec le général Arthur Currie en 1919.
Archives de Saanich/PR-149-2018-019-001; Archives de Saanich/PR-149-2015-028-017a;

Muggins était un collecteur de fonds chevronné qui a recueilli plus de 21 000 $ pour des associations d’anciens combattants et la Croix-Rouge pendant les deux guerres mondiales (environ 400 000 $ au cours actuel). C’était aussi un bénévole très décoré qui a récolté huit médailles et une reconnaissance internationale pour ses efforts. Et surtout, étonnamment, Muggins était en fait un chien.

On croisait souvent ce Spitz de race pure au manteau blanc soyeux au centre-ville de Victoria dans les années 1910. En 1920, quand il décéda d’une pneumonie à l’âge de sept ans, un taxidermiste habile sut garder sa silhouette intacte, en hommage à ses efforts de guerre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le chien empaillé fut exposé dans divers endroits de Victoria afin de continuer à collecter des fonds pour l’effort de guerre. Et puis, au milieu des années 1950, on finit par oublier Muggins. Il était passé si souvent d’une main à l’autre que des historiens ne purent retrouver l’animal. Muggins avait disparu. Jusqu’à récemment.

Découvert dans le cabanon d’un résident de la banlieue View Royal de Victoria, le chien empaillé a été restauré pour lui redon-ner son ancienne gloire. Muggins devrait être exposé à la résidence du lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique cet été.

Muggins est né en 1913 dans une famille riche. William Roper Hull, célèbre entrepreneur et philanthrope de Calgary, le donna à des membres de la famille Hull, puis Muggins se retrouva finalement chez Beatrice Woodward. Cette Britannique qui vivait à Victoria était une activiste convaincue, engagée au service de la communauté.

Bien que l’on ne puisse que spéculer sur la façon dont Woodward avait si bien dressé Muggins, il devint rapidement partie intégrante du cadre indispensable des dons faits à la Croix-Rouge lors de la Première Guerre mondiale. Muggins, deux troncs de la Croix-Rouge sur le dos, se trouvait souvent près de l’hôtel Empress de la ville ou sur le quai pour solliciter des dons aux habitants en battant de la queue.

Dédié à la cause, Muggins allait parfois travailler seul, embarquant à bord de traversiers et de navires de ligne pour solliciter joueurs et visiteurs. Muggins devint une mascotte célèbre en recueillant des milliers de dollars pour la Croix-Rouge. Il fit la rencontre du prince de Galles et du célèbre général canadien Arthur Currie.

Muggins le chien de collecte de fonds figura sur des cartes postales (au centre et en regard en bas), reçut des médailles et posa même pour une photo avec le général Arthur Currie en 1919.
Archives de Saanich/ PR-149-2015-028-011

Le chien est rapidement devenu partie intégrante du cadre indispensable des donations à la Croix-Rouge lors de la Première Guerre mondiale.

Selon Grant Hayter-Menzies, auteur de Muggins : The Life and Afterlife of a Canadian Canine War Hero (la vie et la vie après la mort d’un héros de guerre canin, NDT), le chien affichait son désarroi lorsqu’il avait l’impression que ses troncs n’étaient pas assez lourds et n’avaient donc pas assez de pièces de monnaie. « C’était un héros militaire, même s’il n’a jamais mis la patte sur un champ de bataille », a-t-il déclaré.

Muggins le chien de collecte de fonds figura sur des cartes postales (au centre et en regard en bas), reçut des médailles et posa même pour une photo avec le général Arthur Currie en 1919.
Archives de Saanich/PR-149-2015-028-005; Archives de Saanich/PR-149-2015-028-014a

Alors qu’il rédigeait un projet sur l’histoire de la Croix-Rouge, l’officier de police militaire à la retraite Paul Jenkins fut captivé par Muggins, mais il n’avait que peu d’espoir de retrouver le chien empaillé. La Croix-Rouge avait pourtant publié des avis de recherche. Et un jour, une piste mena au cabanon de View Royal.

Hayter-Menzies a financé la restauration du chien empaillé grâce à ses droits d’auteur. Ce Muggins tout neuf se trouve maintenant dans l’atelier de Jenkins, dans une vitrine en plastique acrylique. Muggins sera exposé temporairement à la résidence du gouverneur cet été; cependant, Jenkins essaie toujours de lui trouver une demeure permanente.

Pour Jenkins, l’importance de Muggins est inestimable : « La raison d’être de Muggins était d’apporter de l’espoir dans un monde polarisé. »

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La C.-B.–Yn et le Nouveau-Brunswick dominent au cribbage https://legionmagazine.com/fr/2024/07/la-c-b-yn-et-le-nouveau-brunswick-dominent-au-cribbage/ Mon, 22 Jul 2024 15:36:36 +0000 https://legionmagazine.com/fr/?p=6596
Des joueurs, bénévoles et organisateurs des championnats de cribbage nationaux de la Légion qui a eu lieu à Shediac, N.-B., posent pour une photo devant un attrait touristique emblématique.
Aaron Kylie/RL

Bill Nelligan, de la filiale britanno-colombienne Cranbrook, champion en titre des simples deux années de suite, ne participait pas à l’édition 2024 des Championnats nationaux de cribbage de la Légion royale canadienne. Le champ était donc libre en avril dernier à Shediac, au Nouveau-Brunswick, pour lui voler sa couronne. Bulldozer est alors entrée en piste.

Judy Dove, de la filiale Woodstock, N.-B., confie qu’elle doit ce surnom à sa féroce suprématie au Texas hold ’em, et qu’elle n’est que trop heureuse de le prêter au cribbage, même si elle ne joue plus beaucoup depuis des années. D’autres membres de la filiale ont recruté cette vedette locale du poker, et leur pari a porté ses fruits : Bulldozer Dove a battu tous ses camarades chez les simples avec 17 points en neuf manches.

Comme souvent, Mme Dove a grandi avec le cribbage, un passe-temps dans sa famille. Elle se souvient que lorsqu’elle n’avait que deux ans, elle regardait son grand-père pratiquer en « jouant au Devil’s Bridge » pendant des heures chez lui, près de la fenêtre. Les chevilles de cribbage étaient devenues des jetons de poker jusqu’à récemment, quand elle est retournée vers la planchette.

« J’ignorais qu’il n’y avait pas l’argent en jeu. Je ne joue pas s’il n’y a pas d’argent à gagner », a déclaré Mme Dove qui a finalement fait une exception à sa règle pour les matchs de la Légion.

Parallèlement, Ronald White, de la succursale George Pearkes de Princeton, en Colombie-Britannique, qui a pris à M. Nelligan le titre de champion en simple de la C.-B.–Yn, a terminé deuxième avec 14 points. Il était à égalité avec Kevin Duchschere de la filiale saskatchewanaise Nipawin, mais M. White l’a battu 3 à 0 à la huitième manche.

Mis à part ce revers mineur, la C.-B.–Yn a continué de dominer les compétitions, remportant à la fois le titre des doubles et celui des équipes.

Barry Dillon et Richard Falle de la filiale Prince Edward de Victoria, deux Terre-Neuviens qui ont déménagé dans l’Ouest dans les années 1980, ont dominé le tableau aux doubles pour une extraordinaire septième fois en neuf championnats. Grant Graham et Darrell Gorvett de la filiale Perth-Upon-Tay de Perth, en Ontario, ont décroché la deuxième place à l’issue d’un bris d’égalité contre Wayne Lucas et Joseph Perrier de la filiale de Stephenville, T.-N.-L.

Pendant ce temps, à l’épreuve par équipe, six quatuors n’étaient séparés que par deux points à la fin de l’avant-dernière manche. Le groupe de la Colombie-Britannique–Yukon, M. Dillion, M. Falle et leurs compagnons de filiale Tammy Shiells et Fredrick Horsman, a remporté le titre en marquant quatre points lors de la dernière manche. M. Dove et ses collègues de la filiale Woodstock de la N.-É., Sonja Foster, Tanya Blaney et Cindy Delong ont obtenu la deu-xième place lors d’un bris d’égalité devant l’équipe du Manitoba–Nord-Ouest de l’Ontario composée de Valerie Wiebe, Robin Wiebe, George Fieber et Barry Gunther de la filiale manitobaine Morden.

Quarante-sept légionnaires des quatre coins du Canada ont effectué des lancers de 180 pendant deux jours à la filiale Shediac qui, dans la droite lignée du patrimoine acadien de la région, les a reçus avec une chaleureuse hospitalité. Le comité organisateur local, dirigé par le président de la filiale, Ryan Seguin, a organisé le vendredi soir une fête où la cuisine traditionnelle de la côte Est était à l’honneur, avec en vedette du fricot de poulet, une spécialité acadienne, et la musique de Nelson Jessome. Un souper de côte de bœuf a été servi le samedi soir, et il a offert des petits pains au homard au prix coutant le dimanche soir.

Comme tant de filiales de la Légion, celle de Shediac avait subi une diminution du nombre de ses membres. En effet, lorsque Lee Doiron a été élu à la présidence au début des années 2010, « nous courions au désastre », a-t-il déclaré à la CBC en février 2021. Mais, comme le rappelle le dicton, quand on veut, on peut.

Le redressement a commencé par l’ouverture d’un bar au sous-sol, The Bunker, et l’abandon de certaines règles obsolètes (pas de gomme ni de chapeau). Le tout a attiré des gens plus jeunes et le nombre de membres a presque quadruplé. Ensuite, la filiale a acheté une propriété adjacente et y a fait construire un bâtiment d’habitations collectives à deux étages, offrant huit unités aux anciens combattants des temps modernes. Des locataires ont emménagé début 2021, malgré la pandémie.

Le projet a connu un tel succès que la filiale a entrepris la construction de 12 autres unités, dont huit seront subventionnées. Elles seront terminées cette année. Les revenus des installations sont réinvestis dans la filiale, a déclaré M. Seguin. Et cela se voit dans la restauration de la façade du bâtiment ainsi que dans les salles propres et modernes au rez-de-chaussée… et dans l’organisation d’un championnat national.

Les tables de cribbage étaient en effervescence, de nombreux joueurs se disputant une récompense de mise secondaire de 5 $ pour la main la plus élevée. M. Seguin nous a avoué qu’il ne savait pas vraiment comment Shediac en était venue à accueillir les meilleurs joueurs de cribbage de la Légion, d’autant plus que la filiale n’organise habituellement pas d’épreuves de ce jeu. Il s’agit d’un legs de son prédécesseur, Mike LeBlanc. Le championnat aurait dû avoir lieu il y a quelques années, mais il a été retardé en raison de la pandémie. La philosophie reste la même que pour le bar The Bunker et les logements : construisons, les gens viendront.

Ils sont venus, en effet. Et Mme Dove a gagné de l’argent, car elle a remporté le tirage au sort parmi les neuf ex aequo ayant la main la plus élevée : 24 points. Mieux vaut ne pas parier contre Bulldozer. Ni contre la Colombie-Britannique–Yukon, en fin de compte.

 

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Measures de guerre https://legionmagazine.com/fr/2024/07/measures-de-guerre/ Mon, 22 Jul 2024 15:20:30 +0000 https://legionmagazine.com/fr/?p=6594
Des officiers de la Marine royale du Canada questionnent un pêcheur canadien- japonais près d’Esquimalt, C.-B., en décembre 1941.
DND/LAC/PA-037468

La Loi sur les mesures de guerre est entrée en vigueur le 4 aout 1914 pour permettre au cabinet de passer outre la Chambre des communes et le Sénat, et de gouverner par décret en cas de « guerre, d’invasion ou d’insurrection, réelle ou appréhendée ».

C’est le dernier mot de cette définition qui a causé le plus de problèmes. Si le cabinet voyait une menace en quelqu’un ou quelque chose, il pouvait agir unilatéralement en dehors de la loi et des piliers centraux de la démocratie. Le gouvernement pouvait censurer des publications, arrêter, détenir ou expulser des individus sans procès, contrôler le commerce et saisir des biens propres.

Et il l’a fait. Le pays a été confronté aux horreurs de la première guerre moderne, et consécutivement, il a interdit des centaines de publications, interné des milliers de civils et confisqué leurs biens.

La Loi sur les mesures de guerre a été utilisée à nouveau en 1939. Elle a servi à censurer des journaux et d’autres périodiques, ainsi qu’à démanteler plus de 30 organisations religieuses, politiques ou culturelles. Cependant, ce qui reste gravé dans les mémoires, ce sont les dizaines de milliers de Canadiens d’origine allemande, italienne ou japonaise qui ont été internés et dont les biens ont été confisqués; certains d’entre eux ont même été expulsés après la guerre.

Dans les temps modernes, en 1973, le premier ministre Pierre Trudeau a recouru à la Loi sur les mesures de guerre pour faire face à la crise du Front de libération du Québec (FLQ). Cette année-là, le FLQ a enlevé le délégué commercial britannique James Cross puis, quelques jours après, Pierre Laporte, ministre du Travail du Québec. Le premier ministre Robert Bourassa a demandé à Trudeau d’invoquer la Loi sur les mesures de guerre, qui a été proclamée le 16 octobre. Des centaines de personnes ont été arrêtées ce matin-là.

Le FLQ s’était habilement fait passer pour une grande organisation et avait suscité beaucoup d’estime chez les nationalistes. Mais, quand le corps de M. Laporte a été retrouvé dans un coffre, cette mansuétude s’est évanouie. Des années après ce qu’on a nommé la crise d’Octobre, il a été établi que le FLQ ne comptait qu’environ 35 membres.

L’invocation de la Loi sur les mesures de guerre pour suspendre les droits et les libertés civiles d’une population était controversée, et Trudeau a annoncé qu’il la modifierait, mais cela ne s’est pas fait pendant son mandat.

En 1988, quatre ans après le départ de Trudeau, la Loi sur les mesures de guerre a été remplacée par la Loi sur les mesures d’urgence. Il y a des différences cruciales entre les deux : le cabinet ne peut plus agir seul, et toute mesure est soumise à la Déclaration des droits et à la Charte des droits et libertés. Elle prévoit également une indemnisation pour les personnes touchées par la Loi. La même année, le premier ministre Brian Mulroney présenté des excuses aux Canadiens japonais pour leur traitement pendant la guerre et a accordé une indemnité de 21 000 $ à chaque survivant.

La Loi sur les mesures de guerre a toujours suscité la controverse, car il était si facile d’abuser de ces pouvoirs en faisant fi des protections démocratiques. La Loi sur les mesures d’urgence ne s’est révélée que légèrement moins controversée.

Le premier ministre Justin Trudeau l’a invoquée en février 2022, car des manifestants anti-vaccins occupaient Ottawa depuis plusieurs semaines. Il s’agissait de sa première mise en application. Les manifestants ont été arrêtés ou expulsés de la ville sous escorte. Mais, cette décision a donné lieu à une enquête pour savoir si cela avait été nécessaire et si la loi devrait être modifiée.

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« Barrett’s Privateers » (les corsaires de Barrett), de Stan Rogers https://legionmagazine.com/fr/2024/07/barretts-privateers-les-corsaires-de-barrett-de-stan-rogers/ Mon, 22 Jul 2024 15:05:10 +0000 https://legionmagazine.com/fr/?p=6586 God damn them all, I was told
(Que Dieu les maudisse tous, on m’a dit)

We’d cruise the seas for American gold
(Que nous parcourrions les mers en quête d’or américain)

We’d fire no guns, shed no tears
(Que nous n’utiliserions pas nos canons, ne verserions pas de larme)

Now I’m a broken man on a Halifax pier
(Maintenant, je suis un homme brisé sur une jetée d’Halifax)

The last of Barrett’s privateers
(Le dernier des corsaires de Barrett)

—« Barrett’s Privateers » (les corsaires de Barrett), de Stan Rogers

 

Enos Collins, le principal propriétaire de Packet, était, selon les rumeurs, l’homme le plus riche du Canada à sa mort en 1871.
COLLECTION STUDIO NOTMAN/ARCHIVES DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

Ce fut peut-être l’investissement du siècle pour Enos Collins, Benjamin Knaut, et John et James Barss.

En 1811, ces marchands de Liverpool, Nouvelle-Écosse, achetèrent le Severn pour quelques centaines de livres britanniques (des dizaines de milliers de dollars d’aujourd’hui). Coup de chance pour eux, la guerre avec les
États-Unis allait éclater quelques mois plus tard. C’est là qu’ils se mirent à faire des affaires, de grosses affaires, avec l’ancien navire d’accompagnement d’un négrier espagnol saisi par la Royal Navy.

Ils rebaptisèrent la goélette de Baltimore de type clippeur Liverpool Packet, et se lancèrent dans le transport du courrier entre Liverpool et Halifax.

Puis, quand la guerre de 1812 éclata, ils acquirent une lettre de marque du roi d’Angleterre et se livrèrent à une guerre de course frénétique qui fut la plus lucrative de celles de la quarantaine de Canadiens titulaires d’un permis de mercenaire maritime pendant le conflit.

Liverpool, avec son port abrité sur la côte sud de la province et son accès illimité au riche parc de voiles de la région, était considérée à l’époque comme la capitale corsaire de l’Amérique du Nord britannique. Avec ses cinq canons et ses 45 membres d’équipage, le rapide et ambitieux Packet s’avéra redoutable le long de la côte de la Nouvelle-Angleterre.

Il captura une cinquantaine de navires américains et leurs cargaisons au cours de la guerre pour une valeur estimée entre 262 000 dollars et un million de dollars (soit un pouvoir d’achat de 4,8 à 18,6 millions de dollars canadiens de 2023).

L’une des lettres de marque du navire : son permis de pillage.
SOCIÉTÉ HISTORIQUE DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE/ARCHIVES DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

Les combats navals classiques, tels que la bataille du lac Érié et l’affrontement entre le HMS Shannon et l’USS Chesapeake qui se solda par la capture et la parade du Chesapeake dans le port d’Halifax, retinrent beaucoup l’attention des historiens. Mais, les escarmouches entre ce qui était à la base des petits cargos ou des bateaux de pêche trafiqués, ont rythmé le dernier grand conflit entre les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Les navires corsaires coloniaux avaient joué un rôle important pendant la guerre d’indépendance de 1775-1783. Ils avaient capturé des centaines de navires britanniques, donnant leurs mousquets et leur poudre à canon à l’armée continentale.

On estime que les navires corsaires américains détournèrent des millions du commerce britannique pendant la guerre de 1812, en grande partie au large des iles britanniques. En 1814, les compagnies d’assurance maritimes britanniques facturaient habituellement 13 % sur les expéditions entre l’Angleterre et l’Irlande, un pourcentage énorme. Le Naval Chronicle rapporta que c’était le triple des frais facturés quand la Grande-Bretagne était en guerre avec « toute l’Europe ».

Le monarque britannique et ses représentants émirent environ 3 000 lettres de marque pendant les guerres napoléoniennes sur la période de 1812 à 1815.

Les documents – des permis de piller – étaient rentables pour toutes les personnes concernées, sauf les victimes. Ils légitimaient en substance la piraterie contre les navires maritimes d’un pays ennemi, aussi innocents soient-ils. En s’emparant et en pillant des navires marchands, des bateaux de pêche, des baleiniers et autres, les navires corsaires perturbaient le commerce et l’approvisionnement, détournaient les ressources navales et, dans certains cas, faisaient fortune.

Le HMS Shannon escorte son prix de guerre, l’USS Chesapeake, jusqu’au port d’Halifax le 1er juin 1813.
J.C. SCHETKY/DAY & HAGHE LITHOGRAPHES/CWM/20180033-005

L’âge d’or de la piraterie était révolu depuis longtemps. Des noms tels que Barbe-Noire, Calico Jack, Henry Morgan et Samuel Bellamy (« Black Sam ») appartenaient à la légende, leurs trésors coulés depuis longtemps au fond des Caraïbes ou peut-être enterrés à l’ile Oak en Nouvelle-Écosse.

Un siècle après que le Jolly Roger eut terrorisé les marins du monde entier, les besoins et désirs du roi anglais avaient reconféré une certaine légitimité à la pratique, et les opportunistes étaient naturellement disposés à gagner gros.

« Les navires corsaires de la Nouvelle-Écosse ont joué un rôle essentiel dans la fermeture des ports américains pendant la guerre de 1812, a écrit James H. Harsh dans L’encyclopédie du Canada. Ils étaient une source précieuse de renseignements pour la Marine royale sur les forces étasuniennes et les mouvements de leurs navires. »

Pour les navires corsaires, cependant, les profits n’étaient pas garantis.

Leurs équipages, triés sur le volet, étaient principalement composés de pêcheurs qui se portaient volon-taires en rêvant de gloire et de fortune. Aucun salaire ne leur était offert, leur rétribution devait être leur part sur le pillage des navires.

Pourtant, 15 des 40 navires corsaires du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse en service ne réussirent pas à faire une seule capture, et 10 n’en firent qu’une seule chacun. Les autres amassèrent des fortunes pour leurs propriétaires.

Et aucun n’en amassa davantage que le Liverpool Packet.

Le navire de 53 pieds (16 mètres) était mouillé au port d’Halifax lorsque, le 27 juin 1812, arriva au port la frégate britannique 

Belvidera portant la nouvelle de la déclaration de guerre des États-Unis à l’Angleterre neuf jours auparavant. Le navire avait à son bord 17 victimes d’un combat avec cinq navires américains qui avait duré toute une journée.

L’équipage du Packet arma hâtivement le navire de cinq canons rouillés et se rendit à Liverpool
pour attendre la réponse de la Grande-Bretagne au défi américain. Il espérait une lettre de marque.
À la mi-juillet, la côte de la Nouvelle-Écosse grouillait de corsaires américains qui s’emparaient des navires de la marchande presque quotidiennement.

Le Packet obtint son permis de corsaire et captura au moins 33 navires américains au cours de la première année de la guerre. Le navire fut d’abord commandé par John Freeman, corsaire vieillissant et vétéran des guerres française et espagnole, puis par un marin plus jeune, mais chevronné, Joseph Barss fils. Il se postait près de Cape Cod, dans le Massachusetts, où il attaquait les bâtiments américains en route vers Boston ou New York.

« All awake! (tout le monde debout, NDT), claironna le journal Columbian Centinel de Boston le 19 décembre 1812. Le Liverpool Packet a une nouvelle fois attaqué notre côte. » Le navire corsaire revint à Liverpool deux jours plus tard avec deux prises dans son sillage.

Les navires ennemis n’étaient pas les seuls périls auxquels le Packet était confronté. Une tempête ce mois-là obligea Barss à prendre le large pour y résister. « À minuit, des vents violents et une mer démontée, note un journal de bord, les vagues se brisent sur le navire de l’étrave à la poupe. »

Mais, les prises s’avéraient stupéfiantes.

Une liste publiée dans la Nova Scotia Royal Gazette le 31 mars 1813 fait état de quatre prises rien que le 28 mars : le brick Swift, capturé alors qu’il se rendait de Charleston, en Caroline du Sud, à Rhode Island avec une cargaison de coton et de cuir; la goélette Lawry avec une cargaison de sucre, de fer et de coton de Boston à destination de New York; et le sloop Reliance, destination inconnue, qui transportait du fer, du sucre, du cuir et du coton. Il avait aussi capturé le sloop General Green parti de Boston avec de la morue et du rhum à destination d’Albany, New York, pour l’armée du général Henry Dearborn.

D’autres prises du Packet étaient ancrées à Liverpool, dont la goélette Bunker Hill, chargée de chocolat.

Les propriétaires du Packet furent tellement inspirés par le succès du navire qu’ils achetèrent le brick Sir John Sherbrooke, un ancien navire corsaire américain du nom de Thorn. Le navire de guerre avait un déplacement de 273 tonnes et disposait de 18 ca-nons ainsi que d’un équipage de 150 hommes. D’aucuns disaient qu’il connut le succès le plus rapide de tous les corsaires canadiens, mais les estimations de ses prises variaient considérablement.

La Royal Gazette de la Nouvelle-Écosse du 31 mars 1813 rapporte les prises remportées au cours des derniers mois par les corsaires Sir John Sherbrooke et Liverpool Packet.
THOMAS HAYHURST/MUSÉE DU COMTÉ DE REINE

Sa notoriété se répandit dans le monde entier, on donna au Packet les surnoms de New England’s Bane (fléau de la Nouvelle-Angleterre, NDT) et The Black Joke (la blague noire, NDT), surnom porté par plusieurs négriers tristement célèbres.

Le Packet était un corsaire expérimenté quand, au printemps de 1813, ayant levé l’ancre trois mois avant, sa chance s’évanouit : il tomba sur le corsaire américain Thomas de Portsmouth, New Hampshire. Deux fois plus grand que le Packet, il avait 15 canons et un équipage de 100 personnes.

La course-poursuite de cinq heures commença par vents légers le 9 juin à 9 h. L’équipage du Packet jeta tous les canons à courte portée par-dessus bord sauf un, pour alléger sa charge, et il déplaça le canon de six livres qu’il lui restait à la poupe. Alors que son poursuivant se rapprochait, il chargea le canon d’un obus de six livres, puis il essaya un obus de quatre livres enveloppé dans de la toile. La bouche se fendit.

« À 14 heures, la goélette qui se rapprochait rapidement hissa ses couleurs et se mit à faire feu de ses canons de poursuite », raconta l’historien de Liverpool George E.E. Nichols dans une présentation intitulée « Notes sur les corsaires néo-écossais » de 1904.

« Rattrapé par l’Américain, il a abandonné la partie, abaissant son drapeau et voguant à côté du Thomas. Au moment de virer, il a bousculé le Thomas, et pensant que l’adversaire était sur le point de monter à son bord, les équipages ont engagé le combat au corps à corps.

Thomas Hayhurst représente Packet toutes voiles dehors. La Royal Gazette de la Nouvelle-Écosse du 31 mars 1813 rapporte les prises remportées au cours des derniers mois par les corsaires Sir John Sherbrooke et Liverpool Packet.
THOMAS HAYHURST/MUSÉE DU COMTÉ DE REINE

« Après l’abaissement des couleurs, les officiers et l’équipage du Thomas ont tiré à plusieurs reprises sur le Liverpool Packet et l’ont me-nacé de ne pas faire quartier à son équipage. Vu son extrême infério-rité numérique, il a été contraint de se rendre, mais pas avant que plusieurs membres de l’équipage du Thomas aient été tués. »

Trois semaines après, le navire américain fut capturé par une frégate britannique après une course-poursuite de 32 heures. Il fut amené à Halifax et vendu aux corsaires de Liverpool, le plus grand actionnaire parmi eux étant Joseph Barss père, également représentant du comté de Queens à l’Assemblée législative.

Le Thomas de Portsmouth fut rebaptisé Wolverine de Liverpool. Il fit huit captures avant la fin de l’année.

Pendant ce temps, Joseph fils avait été emmené à Portsmouth, où il resta sous garde armée pendant plusieurs mois avant que John Coape Sherbrooke, lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, ancien général de l’armée britannique et homonyme du corsaire susmentionné, n’obtienne sa libération.

Le Liverpool Packet fut converti en corsaire américain et prit le nom de Portsmouth Packet. Mais, en octobre 1813, le HMS Fantome, un brigsloop de 18 canons, ren-
contra la goélette au large de l’ile Mount Desert, Maine.

Une course-poursuite de 13 heures s’ensuivit, avant que le Fantome ne s’empare de sa proie et ne l’amène à Halifax. Le Packet fut racheté par ses anciens propriétaires, et son nom, Liverpool, restauré. Il reprit son pillage sous le commandement de Caleb Seely.

La deuxième lettre de marque du Packet se trouve actuellement dans les archives de la Nouvelle-Écosse.

L’acte, en date du 19 novembre 1813, autorisait Seely et son navire « à appréhender, saisir et prendre les navires, vaisseaux et biens appartenant aux États-Unis d’Amérique ou à toute personne citoyenne de tout territoire des États-Unis d’Amérique ou y habitant […] selon la commission de Sa Majesté ».

Dans le cadre de ses fonctions de corsaire, Seely reçut l’ordre de prendre note « de la situation, du mouvement et de la force des Américains, ainsi que de ce qu’il [pouvait] découvrir grâce aux meilleurs renseignements qu’il [pouvait] obtenir ».

Le Packet captura trois autres navires avant la fin de l’année.

Le navire connut également du succès en 1814, faisant des captures en mai et en juin, puis deux autres avec le Shannon près de New York et de Bridgeport, dans le Connecticut. Le Packet collabora souvent avec des navires de la marine britannique jusqu’à la fin de la guerre.

Barss fut nommé capitaine de son ancien ravisseur, le Wolverine, en 1814, et il navigua en tant que commerçant dans les Antilles.

Les Américains considéraient cependant que sa simple présence en haute mer était une violation de sa libération conditionnelle, et ses jours de marin prirent fin à son retour à Liverpool, en aout.

Les corsaires améri-cains poursuivirent leur campagne au large des Amériques, leurs commissions émises par voyage par le Continental Congress ou les gouver-nements d’État.

Les capitaines comme John Peter Chazel, Hugh Campbell et Herman Perry dont le port d’attache était Savannah, Géorgie, Elizabeth City, Caroline du Nord ou Mobile, Alabama, commandaient des goélettes rapides et des bricks aux côtés d’écumeurs marchands de la côte est du continent.

Les corsaires américains ne se limitaient pas aux marchands britanniques. Les archives montrent qu’ils capturaient également des navires suédois, espagnols, portugais ou russes.

La goélette de six canons surnom-mée Saucy Jack, appartenant au marchand John Everingham de Charleston, Caroline du Nord, est considérée comme celle qui eut le plus de succès parmi les bâtiments américains. Lors de son voyage inaugural, le Saucy Jack, commandé par Thomas Jervey, captura le brick William Rathbone armé de 14 canons et transportant une cargaison d’une valeur d’environ 7 millions de dollars canadiens d’aujourd’hui. Bien que le navire britannique, que l’on appelait le West Indianman, ait été repris par la suite, l’incident était un signe avant-coureur des succès de l’Américain sous le commandement de trois capitaines.

Le journal du dernier et plus célèbre capitaine corsaire du Saucy Jack, Chazal, fait état d’une rencontre sanglante avec le Pelham, cargo britannique de 540 tonnes armé de 10 canons, entre Cuba et Saint-Domingue le 30 avril 1814.

L’édition du 9 février 1913 du New York Sun commémore les corsaires d’un siècle auparavant.
ARCHIVES DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

« Lors de l’abordage, Stephen Dunham, un de nos marins, a été abattu et notre premier lieutenant, Dale Carr, mortellement blessé alors qu’il combattait sur le pont de l’ennemi, écrivit Chazal. En même temps, notre sous-lieutenant Lewis Jantzen et John St. Amand, lieutenant des fusiliers marins, ont été grièvement blessés, ainsi que sept de nos hommes. Ce qui a porté nos pertes à deux tués et neuf blessés, dont huit grièvement.

« À bord du Pelham, il y avait eu quatre tués et 11 blessés; dont le capitaine et son second (morts par la suite). »

Les hostilités terminées et le phénomène des corsaires jugulé par le Traité de Gand et l’évolution de la politique de la Marine royale, les armateurs des deux côtés, dont Everingham, eurent tendance à se remettre à ce qu’ils connaissaient le mieux : le commerce.

Les corsaires qui continuaient leurs coups de main après l’échéance de leur commission ou la signature d’un traité de paix s’exposaient à des accusations de piratage. Les peines étaient terribles : les condamnés étaient pendus sur la plage à Halifax, puis goudronnés et suspendus par des chaines à une potence située à l’entrée du port en guise d’avertissement aux autres marins.

Ainsi, et vu la croissance du rôle naval en haute mer, les corsaires avaient presque entièrement disparu à la fin du XIXe siècle.

« Les corsaires de Liverpool étaient des gens de grande qualité, tous des citoyens de premier plan de la communauté bien connus des officiers de la marine britannique de l’époque, écrivait Janet E. Mullins dans The Dalhousie Review. Lorsque les guerres prirent fin, beaucoup d’entre eux occupèrent des postes honorables de député, juge, armateur, marchand. »

Les propriétaires du Packet vendirent leur petit navire à Kingston, en Jamaïque. On ne sait ce qu’il en advint par la suite. Son nom a été donné depuis à plusieurs navires.

Le succès du navire avait servi à enrichir énormément son principal propriétaire, Enos Collins, qui fut cofondateur de la Halifax Banking Company. Elle fusionna avec la Banque Canadienne de Commerce en 1903.

Né dans une famille de mar-chands de Liverpool, il avait participé à quelques escapades de corsaire aux Antilles dans sa jeunesse. Selon la rumeur, en 1871, à sa mort à l’âge de 97 ans, il était l’homme le plus riche du Canada.

Les « Notes sur les corsaires de la Nouvelle-Écosse » de George E.E. Nichols, datant de 1904, cherchaient à clarifier l’histoire et à corriger certaines interprétations négatives du commerce.
NOVA SCOTIA ARCHIVES

En 1904, George E.E. Nichols, grand amateur d’histoire de Liverpool, Nouvelle-Écosse, donna une présentation intitulée « Notes on Nova Scotian Privateers » (notes sur les corsaires néo-écossais, NDT), où il défendait ardemment la pratique que d’aucuns considéraient comme immorale.

Les navires de guerre privés, déclarait-il, procédaient selon des règles strictes établies par la Couronne. Personne ne pouvait faire de capture sans obtenir au préalable un permis qu’on appelait lettre de marque.

Pour en obtenir un, les armateurs d’un navire devaient satisfaire à certains engagements et exigences :   

  • le tonnage, les armes, les munitions de leur navire et autres renseignements comme les noms des propriétaires, des officiers et des hommes devaient être inscrits aux registres de l’amirauté, à Halifax dans le cas de la Nouvelle-Écosse;
  • un compte rendu des captures et des activités devait être dressé dans un journal de bord, et toute information sur l’ennemi pouvant être précieuse devait être transmise;
  • aucune personne prise ou surprise à bord d’un navire, même si l’on savait qu’il s’agissait d’un ennemi, ne devait être tuée de sang-froid, torturée, mutilée, ni traitée de manière inhumaine « contrairement aux usages courants de la guerre »; aucune rançon ne devait être réclamée pour les prisonniers;
  • les corsaires n’étaient pas autorisés, à arborer les couleurs habituellement hissées sur les mâts des navires du roi. Ils étaient tenus de déployer un pavillon rouge;
  • un cautionnement (garants) était exigé soit de la part des propriétaires, s’ils étaient résidents, soit du capitaine. Le montant dudit cautionnement variait en fonction du nombre de membres d’équipage. S’il était supérieur à 150 hommes, il fallait 3  000 livres sterling [environ 500  000 $ CA d’aujourd’hui], et s’il était inférieur à 150, il fallait la moitié de ce montant-là.

Les prises devaient être menées au port le plus commode des dominions de la Couronne, où l’amirauté statuerait sur elles. Une fois la capture déclarée légitime, les ravisseurs étaient autorisés à vendre le navire et sa cargaison au marché libre « pour qu’ils en tirent le meilleur parti ». Les recettes étaient généralement réparties en pourcentage entre les commanditaires des corsaires, les armateurs, les capitaines et l’équipage. Et une part revenait habituellement à l’émettrice de la commission (la Couronne).

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APRÈS LA GUERRE, DES CHIENS https://legionmagazine.com/fr/2024/07/apres-la-guerre-des-chiens/ Tue, 16 Jul 2024 14:46:23 +0000 https://legionmagazine.com/fr/?p=6580
Le révérend R.M.A. Scott (surnommé Sandy) pose avec sa chienne d’assistance Mandy au Monument du maintien de la paix à Ottawa.
legionmagazine

Je vais vous faire de la théologie. » Cette phrase badine sort de la bouche du révérend R.M.A. Scott (surnommé Sandy). Aumônier de l’armée, il s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en 1979, perpé-tuant ainsi l’histoire militaire de sa famille maternelle qui remonte à 1914. Il a d’abord servi dans une unité de réserve navale, puis il a été transféré au North Saskatchewan Regiment en tant qu’aumônier. Scott a été réser-viste pendant plus de 24 ans.

Avec ses fines lunettes rec-tangulaires, sa remarquable chevelure blanche, et son attitude qui invite à la méditation, il est à l’évidence un homme de Dieu.

Il voit la vie, sa beauté et sa fragilité, d’un œil spirituel. Il emploie la parole du Seigneur pour exprimer ce qu’il a vu. Et, dans les rayons du soleil de l’après-midi qui percent à tra-vers les pins rouges et les sapins baumiers, au centre de formation de l’Unité des chiens de service des anciens combattants canadiens à White Lake, en Ontario, on sent une présence divine.

« On peut sentir le pouvoir de grâce et de guérison de Dieu, explique Scott, assis sur une chaise longue installée dans un belvédère. En théologie, ce sont deux choses vraiment importantes pour la foi des gens.

« Je crois que la grâce de Dieu nous parvient par des chiens. »

Même si d’aucuns pourraient faire fi de cette perspective peu orthodoxe, Scott, président du comité de collecte de fonds du centre, a le regard sérieux. Il raconte une histoire. Le chien d’un de ses amis était mort, alors il a décidé de lire un livre sur un homme qui avait également perdu son compagnon canin. « Le personnage dans le livre était endeuillé de la même manière, souligne Scott. En deuil, il a eu une vision. C’était Jésus, accompagné de plusieurs chiens. Son chien a quitté la meute et l’a salué.

« Et Jésus lui a dit : “Je t’ai prêté ce chien pendant un certain temps. Tous ces chiens sont à moi. Je les envoie à des gens pour les aider. Cela fait partie de mon pouvoir de grâce et de guérison”. »

Scott s’est animé, sa voix tremblant dans la brise fraiche de septembre. « C’est comme ça que je l’ai vécu. Ma chienne est un cadeau, un cadeau du Divin.

« Ce chien vient de l’au-delà. »

La labrador de Scott, une chienne d’assistance brun foncé nommée Mandy, était assise à ses pieds. C’était le thérapeute de Scott qui l’avait aiguillé vers le centre en 2016 après un diagnostic de trouble de stress posttraumatique (TSPT). Les avis de décès et de rapatriement qu’il recevait en tant qu’aumônier pendant la guerre en Afghanistan avaient fini par l’ébranler.

« J’avais beaucoup de problèmes, mais comme j’étais membre du clergé, je ne pouvais pas vraiment les extérioriser : je devais prendre sur moi, avoue Scott. Alors mon premier mariage s’est dénoué, et après ça, les événements horribles se sont enchainés.

« J’avais peur. J’étais terrifié. »

Mandy lui a changé la vie, comme seul un chien d’assistance le peut.

Les chiens d’assistance aident les personnes malvoyantes depuis des siècles. Aujourd’hui, les données s’accumulent pour attester que les animaux peuvent servir à soulager les affections psychiatriques chez les anciens combattants. Une étude facilitée par l’Université d’Australie méridionale, l’Université d’Adelaide et les Services militaires et d’urgence d’Australie en 2023 a révélé que 90 % des anciens combattants avaient signalé des améliorations de leur TSPT, de leur anxiété et de leur dépression dans l’année après avoir reçu un chien dressé spécialement.

Des chercheurs sont parvenus à des conclusions similaires au Canada. « Nous ne posons plus la question de savoir si les chiens sont utiles – du moins pas dans mon équipe – parce que nous avons déjà des preuves très solides, confirme Linzi Williamson, professeure adjointe au département de psychologie et d’études sur la santé de l’Université de la Saskatchewan. Il s’agit d’optimiser et de trouver la meilleure voie à suivre, non seulement pour les anciens combattants, mais aussi pour les chiens. »

Malgré ces résultats et l’enga-gement pris il y a près de dix ans par Anciens Combattants Canada d’établir des normes de formation nationales, d’anciens membres des FAC comme Scott se battent toujours pour qu’ACC assume les frais de leur chien d’assistance.

Mandy ne fait presque pas son âge. Ses poils grisonnent, mais elle reste vive. Même sans son gilet de service, elle semblait très consciente des besoins de Scott.

« Elle me rappelle en ce moment-ci que “Nous sommes ici. Garde les pieds sur terre. Reste avec moi” », explique Scott.

Quelques instants plus tard, Rae-Anne, l’épouse de Scott, arrive au kiosque. Sourire en coin, elle demande : « Qu’est-ce que donne le mot “dog” (chien, NDT) à l’envers? (god en anglais signifie Dieu, NDT) »

On ne guérit pas facilement d’un TSPT, mais l’amour d’un chien a touché Scott et a changé sa vie. Au début, il était sceptique. Lui qui peinait à aller à la salle de sport trois fois par semaine se demandait pourquoi son thérapeute lui recommandait un chien d’assistance.

Scott et Mandy partagent un moment de calme.
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«JE CROIS QUE LA GRÂCE DE DIEU NOUS PARVIENT PAR DES CHIENS. »

« Je lui ai dit que je n’arrivais même pas à prendre soin de moi, alors d’un chien… »

Mais, Rae-Anne a estimé qu’un chien d’assistance ne se limitait pas à assumer une responsabilité à quatre pattes. Au cours de ses recherches en ligne, elle est tombée sur le centre de White Lake, et le thérapeute de Scott l’a envoyé là. Rae-Anne se souvient du moment où Scott a rencontré la petite chien-ne brune pour la première fois : « C’était la première fois que je le voyais sourire depuis des années. »

Peu à peu, Scott a découvert que Mandy lui apportait quelque chose qu’il lui manquait depuis un moment : la routine. Mandy était pointilleuse sur les réveils à 7 h et les promenades matin et soir.

Au fil du temps, les trois symptômes de honte, de culpabilité et de rabaissement de soi du TSPT se sont estompés. Scott dormait mieux grâce à ce nouvel horaire, il sortait plus souvent, prenait moins de médicaments et se remettait en forme physiquement et émotionnellement. Scott a aussi perdu 20 livres dans ses premières semaines de travail avec Mandy.

« Mandy fait de moi une meilleure personne, souligne Scott. Elle me rend plus facile à vivre. Ma femme n’a plus à s’inquiéter pour moi.

« Cette chienne m’offre un mode de vie sain. Et un mode de vie ça ne s’achète pas. »

Fondé en 2012, le centre de White Lake est un organisme de bienfaisance géré par d’anciens combattants. Il dresse des chiots et des chiens pour le service, mais forme aussi gratuitement d’anciens combattants et de premiers intervenants sur la façon de travailler avec ces compagnons. Son conseil d’administration, chargé de donner des conseils sur les normes de dressage et les programmes particuliers de l’unité, se compose d’anciens combattants et de premiers intervenants, de dresseurs de chiens et d’un psychologue consultant.

« Les dresseurs de chiens connaissent le chien, le psychologue connait la personne et les anciens combattants qui siègent au comité d’admission savent de quoi ils parlent, explique Scott. C’est la différence entre notre unité canine et les autres programmes de chiens d’assistance. »

Les principes de fonctionnement du centre ont à plusieurs reprises permis de sauver la vie d’anciens combattants, car l’unité lance des vérifications de bienêtre quand il voit que les bénéficiaires donnent des signes de rechute, ou pire. Il reste en contact étroit avec ses clients même après la fin du programme. Et il demande aux clients de communiquer avec l’unité au moins quatre fois par année pour un suivi.

« Nous prenons soin les uns des autres, dit Scott. Et l’adhésion n’expire jamais, tant que vous voulez être des nôtres. »

En collaboration avec Assistance Dogs International, une autorité mondialement reconnue qui fournit les principes de formation pour les chiens d’assistance, le centre réalise des exploits impressionnants avec les canidés.

« Nous avons des chiens qui ramassent des cannes. Nous avons des chiens qui ouvrent des portes, qui attrapent des bouteilles de pilules, explique Dwayne Sawyer, président du centre et sergent à la retraite après 23 ans dans les FAC. Il est très important pour nous de trouver toutes les petites choses pour lesquelles telle ou telle personne a besoin d’aide afin que nous puissions lui former le chien parfait. »

Depuis plus de 15 ans, des organisations d’anciens combattants telles que le centre de formation de White Lake demandent à ACC d’approuver l’utilisation de chiens d’assistance et de les intégrer pleinement à la couverture des divers services de santé mentale. Or, les appels restent vains.

Dans la réponse du gouvernement au sixième rapport du Comité permanent des Anciens Combattants apportée en octobre 2022, « L’intégration des chiens d’assistance au programme de réa-daptation d’Anciens Combattants Canada », ACC a reconnu « une réduction des symptômes du syndrome de stress post-traumatique, et une diminution modérée mais durable des symptômes liés à la dépression. De plus, le sentiment subjectif de bienêtre lié à la qualité de vie en général s’améliore de manière significative ».

Toutefois, l’étude de 2015 financée par ACC menée par l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans à laquelle il attribuait cette réponse a fini par être rejetée en raison des résultats restreints, car presque la moitié des participants, 13 sur 31, n’étaient pas allés au bout de l’étude. De plus, Alexandra Heber, psychiatre en chef d’ACC, avait déclaré au comité permanent des anciens combattants 18 mois avant qu’« il n’y [avait] aucune preuve que le fait d’avoir un chien d’assistance psychiatrique est un moyen de traitement ni une thérapie ».

« [ACC] dit qu’il n’y a aucune preuve clinique, soupire Scott. Ce n’est pas une réponse. C’est une réponse de politicien.

« Les chiens-guides aident les êtres humains depuis 300 ans. [Cette] étude clinique décisive n’aura pas lieu, poursuit-il. C’est insultant de penser que cela va se produire. »

Le rapport du comité permanent demandait également à ACC de « soutenir et promouvoir la création de normes nationales concernant les chiens d’assistance au Canada ». Cependant, le ministère s’est appa-remment aussi éloigné de cette initiative. Selon ACC, « cela doit venir de l’industrie elle-même et utiliser les connaissances et l’expertise d’organisations telles que l’Office des normes générales du Canada ».

Mais, pour partir du postulat de Phil Ralph, ancien combattant, n’est-ce pas le gouvernement qui doit assumer la responsa-bilité particulière de créer et règlementer de tels services?

« C’est ce que les gouvernements sont censés faire », acquiesce Ralph, directeur des services de santé de Wounded Warriors Canada. Ce fournisseur national de services de santé mentale gère entre autres un programme de chiens d’assistance avec la Division ontarienne de la Légion royale canadienne pour les anciens combattants ayant un TSPT ou une blessure de stress opérationnel.

« La pureté des aspirines est entièrement règlementée [par Santé Canada]. Mais, un chien spécialement dressé pour donner à une personne son indépendance, la réimpliquer dans la société et travailler sur ses compétences essen-
tielles, n’est pas du tout règlementé, déplore Ralph, du siège social de Wounded Warriors à Whitby, en Ontario. C’est pour le moins contradictoire. »

Sans norme, les faux programmes de formation et les éleveurs qui n’ont que l’argent en tête continuent à faire des affaires. Une ancienne combattante a déclaré à la revue Légion qu’elle avait été dupée par deux fournisseurs de chiens de service louches : elle a perdu 2 000 $ et n’a plus jamais eu de nouvelles d’eux. De plus, les faux chiens d’assistance ou les chiens mal dressés minent le soutien du public pour le service, surtout si ces chiens blessent quelqu’un ou détruisent des biens.

« C’est juste Médor avec un gilet », explique Ralph.

Fortuitement, en juin 2015, Erin O’Toole, alors ministre des Anciens Combattants, avait annoncé que des normes nationales seraient établies pour les chiens d’assistance qui aident les anciens combattants atteints par un trouble de santé mentale comme le TSPT. Jusqu’à 340 000 $ avaient été approuvés pour créer les normes, et un financement de 500 000 $ avait été alloué à la recherche pilote sur les chiens d’assistance pour ancien combattant.

« Nous nous attendons à ce que ce travail confirme ce que les anciens combattants nous disent sur les avantages des chiens d’assistance psychiatrique : que ces chiens ont amélioré la qualité de leur vie,

avait déclaré M. O’Toole il y a près de dix ans. Le gouvernement du Canada s’est engagé à appuyer les recherches pour obtenir de meilleurs résultats pour les anciens combattants atteints de TSPT ou d’autres troubles mentaux. »

«L’étude prouve clairement que les chiens  d’assistance, que le soutien qu’ils fournissent soit psychiatrique ou émotionnel, servent à améliorer la vie des anciens combattants qui ont un problème de santé mentale. »

L’ancienne combattante Tina Sharp, membre de la Canadian Veteran Service Dog Unit, et son chien d’assistance, Stoker.
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L’Office des normes générales du Canada du gouvernement fédéral a été chargé de ce travail, en consultation avec des groupes d’anciens combattants et des membres d’organisations de formation de chiens d’assistance psychiatrique.

Mais après avoir délibéré pendant trois ans, il a rétracté son intention de produire une norme nationale. Pourquoi? Un porte-parole d’ACC avait déclaré à la SRC à l’époque que le conseil avait été incapable de parvenir à un consensus.

Ralph a affirmé que ces efforts avaient été maudits dès le début, car il est difficile d’amener les dresseurs de chiens à s’entendre sur une approche commune concernant leur travail. « Chacun le fait à sa manière », note-t-il.

« Ils devaient obtenir le consentement quasi unanime de tous les gens concernés, poursuit Ralph. C’est pourquoi ça n’a pas abouti. »

D’autres désaccords portaient sur la question de savoir si les normes devraient être ouvertes ou fermées, comment l’accessibilité aux chiens d’assistance pourrait changer après l’adoption du règlement et comment les chiens d’assistance pouvaient traiter des problèmes de santé mentale précis.

Entretemps, les États-Unis ont pris des mesures décisives pour intégrer les chiens d’assis-tance aux soins de santé pour ancien combattant.

En 2020, le ministère américain des Anciens combattants a publié un rapport exhaustif sur les chiens d’assistance psychiatrique. « L’étude prouve clairement que les chiens d’assistance, que le soutien qu’ils fournissent soit psychiatrique ou émotionnel, servent à améliorer la vie des anciens combattants qui ont un problème de santé mentale », écrivait Emmanuel Dubourg, député et président du Comité permanent des anciens combattants du Canada, dans un rapport ultérieur sur le sujet. En 2021, le président Joe Biden a signé la Puppies Assisting Wounded Service Members for Veterans Therapy Act (loi sur les chiots qui aident les militaires pour la thérapie des anciens combattants, NDT).

La loi PAWS, comme on la sur-nomme, offre aux anciens combattants qui ont un TSPT la possibilité de dresser de potentiels chiens d’assistance pour les aider à gérer leurs symptômes. Le programme pilote de cinq ans « servira à explo-rer les avantages du dressage des chiens d’assistance et [fournira] les données dont nous avons besoin pour faire des recommandations
sur la voie à suivre, déclare Denis McDonough, secrétaire des Anciens Combattants américain.

« Il existe de nombreux traitements efficaces pour le TSPT, poursuit-il, et nous envisageons le dressage de chiens d’assistance en complément de ces options pour nous assurer que les anciens combattants ont accès à des ressources qui peuvent améliorer leur bienêtre et les aider à prospérer. »

Rory Diamond, PDG de K9s for Warriors, le plus grand fournisseur de chiens d’assistance en santé mentale aux États-Unis, a déclaré à la National Public Radio que les

animaux dressés étaient aussi une économie pour le gouvernement, car les anciens combattants qui les utilisent sont moins susceptibles d’avoir besoin de médicaments d’ordonnance couteux, utilisent moins de services de santé en général et retournent plus souvent à l’école ou au travail que les autres. « Alors, tout le monde y gagne. »

Un politicien américain a qualifié de tels programmes de « transformationnels ».

« ACC examine actuellement son approche à l’égard des chiens d’assistance en santé mentale et continuera de surveiller les nouvelles recherches canadiennes et internationales, y compris les résultats du projet pilote quinquennal [du ministère des Anciens Combattants des États-Unis] », a écrit le gouvernement fédéral dans sa réponse d’octobre 2022 au rapport du comité permanent. En attendant, Wounded Warriors Canada et l’Unité canadienne des chiens d’assistance aux anciens combattants continuent de donner espoir aux anciens combattants et aux premiers intervenants à la recherche d’un chien d’assistance.

Wounded Warriors Canada a développé ses propres ressources de chien d’assistance pour les anciens combattants et pour leurs fournisseurs de soins de santé, telles que des lignes directrices sur le moment où les animaux devraient être prescrits. Elles contiennent des renseignements utiles et des conseils sur l’obtention d’un chien d’assistance, et les anciens combattants et les professionnels de la santé doivent remplir ensemble un formulaire pour s’assurer qu’il s’agit d’une phase pertinente du traitement. True Patriot Love, fondation qui appuie les militaires, les anciens combattants et leur famille est également une excellente source d’information sur le sujet.

« C’est comme un médicament, pas vrai? dit Ralph. Tout le monde ne réagit pas de la même manière aux mêmes pilules au même moment et au même dosage. C’est pareil pour les chiens d’assistance. »

Une fois qu’il a été déterminé qu’un chien d’assistance pourrait rendre service, la prochaine étape consiste à contacter un fournisseur réputé comme Wounded Warriors ou l’Unité des chiens d’assistance aux anciens combattants. Les entreprises qui fonctionnent selon le principe « achetez votre propre chien » doivent être évitées, car les animaux peuvent ne pas avoir terminé avec succès le dressage pour le service.

« On se sentirait à nouveau blessé, dit Ralph. On se sentirait à nouveau trahi. »

Faire ses propres recherches est l’étape la plus importante, disent les experts. Parlez aux anciens combattants qui ont bénéficié des programmes de chien d’assistance et posez autant de questions que possible aux professionnels de la santé et aux fournisseurs d’animaux. Il est également essentiel que l’ancien combattant s’assure qu’il est prêt à s’engager.

« Comme avec tout dans le monde, les acheteurs doivent être méfiants », avertit Ralph.

Deux potentiels chiens d’assistance en santé mentale font une pause lors d’un dressage.
Legion Magazine

À White Lake, des heures se sont écoulées. Des heures de bavar-dage, de discussion sérieuse et de discussion à cœur ouvert. Alors que la lueur du soleil est maintenant diluée par les bleus et les noirs qui s’annoncent, la chienne de Scott, Mandy, est toujours assise consciencieusement à ses côtés. La paire revient de loin. Elle a apprivoisé ensemble le monstre du traumatisme. Maintenant, il est en paix, une paix qui lui a été procurée par la providence et qui porte un gilet.

« Je comprends qui je suis, mes failles et les choses idiotes que j’ai faites, avoue Scott. Je suis une meilleure personne grâce à l’amour. »

Et c’est peut-être ce qu’il manque aux soins de santé modernes. En fin de compte, au cœur des divers défis de la vie, les gens ont besoin de grâce et de guérison, d’amour et d’esprit. Et il s’agit d’une ordonnance qui ne se renouvelle pas.

« L’amour change tout », confie Scott.

À ce moment-là, Mandy, toujours affectueuse et attentive, montre son amour pour Scott dans chaque regard, chaque soupir et chaque petit coup de museau. Une créature de miracles, une thérapie pas comme les autres. Lors d’une étreinte avec un Scott souriant, une image emblématique émerge : un homme et sa meilleure amie.

 

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Un héros du front intérieur https://legionmagazine.com/fr/2024/04/un-heros-du-front-interieur/ Tue, 23 Apr 2024 13:26:31 +0000 https://legionmagazine.com/fr/?p=6541
L’association du Génie militaire canadien

Le rôle de Walter Leja au début de la lutte contre le terrorisme urbain à Montréal lui valut la plus haute distinction, mais au prix fort.

Entre 1963 et 1970, le Front de libération du Québec (FLQ), un mouvement marxiste indépendantiste, tenta de renverser l’ordre politique du Québec par la force. Ses membres commirent notamment une soixantaine d’attentats à la bombe dans la région de Montréal, principalement contre des symboles de l’élite anglophone de la ville et des cibles du gouvernement fédéral comme les manèges, le quartier général de la Gendarmerie royale du Canada et des édifices de bureaux. La ville était constamment sur ses gardes.

André Sima/Bettmann Archive/Getty

En mai 1963, les terroristes du FLQ placèrent au moins 10 bombes, chacune armée de quatre bâtons de dynamite dans des boîtes postales à Westmount, une enclave aisée principalement anglophone de Montréal. Cinq des bombes explosèrent le 17 mai à 3 h. Il fallait vite trouver les autres et les désamorcer. C’est là que le sergent-major Leja entra en scène.

Leja était né en Pologne en 1921 et avait immigré au Canada en 1935. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il avait servi outre-mer dans le Corps du génie royal du Canada (CGRC) en tant que démineur. En 1951, il reprit du service dans le 3e Régiment du génie du CGRC, une unité de milice basée à Westmount. Comme l’expertise de l’unité était le désamorçage de bombes, ses membres étaient en alerte au printemps 1963 pour épauler les policiers de Montréal.

Lorsque les bombes explosèrent à Westmount, il fallut examiner les autres boites postales, à la recherche de colis suspects. Leja et un autre soldat du CGRC furent dépêchés sur place. Mains nues et sans protection corporelle, Leja découvrit deux bombes qu’il désa-morça sans problème. Dans un cas, il risqua sa vie en transportant une bombe jusqu’à un champ en plein air pour minimiser les effets d’une éventuelle explosion.

« Mains nues et sans protection corporelle, Leja découvrit deux bombes qu’il désamorça sans problème. »

Le sergent-major Walter Leja fut blessé gravement lorsqu’une bombe qu’il tentait de désamorcer explosa. Le gouverneur-général Georges Vanier lui remit la Médaille de George en 1964.
BAC/4063162; spink.com

Leja désamorçait une autre bombe, au croisement des avenues Lansdowne et Westmount, lorsqu’elle explosa. La déflagration lui arracha l’avant-bras gauche et le défigura sévèrement. Sa poitrine et son torse subirent le souffle de l’explosion. Il survécut avec des dommages irréparables au cerveau et paralysé au côté droit. Il ne reparla plus jamais. 

« Il y a eu une grosse détonation et des morceaux de la boite aux lettres ont volé au-dessus de nos têtes, se souvient le photographe Garth Pritchard de la Gazette de Montréal. On l’a vu étendu par terre quand la fumée s’est dissipée. »

Leja survécut et « d’un stoïcisme difficile à appréhender, [il] passa les vingt-neuf années suivantes à l’hôpital où il finit ses jours », comme le souligne L’association du Génie militaire canadien sur son site web. Westmount institua un fonds de fiducie de 30 000 $ pour sa famille, et des membres de son unité continuèrent à lui rendre visite, surtout à l’occasion du jour du Souvenir.

Le gouverneur général Georges Vanier décerna la Médaille de George à Leja en mars 1964, décoration remise aux civils en reconnaissance d’« actes de grande bravoure » ou aux militaires pour la présence d’un courage exemplaire ailleurs qu’en présence de l’ennemi. La citation officielle note qu’il « a fait preuve d’un grand courage et d’un dévouement exceptionnels. Son geste, en plus d’inspirer et de rassurer les gens qui étaient obligés de rester près de lui, a clairement montré qu’il se souciait bien plus de la sécurité des autres que de la sienne. »

En 2013, l’Assemblée nationale du Québec a rendu hommage à Leja pour son geste et son sacrifice. Un arbre et une plaque commémoratifs situés sur les lieux de l’explosion rappellent dorénavant les hauts faits de Leja aux passants. Leja quitta ce monde à l’hôpital pour anciens combattants de Sainte-Anne en 1992.

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Un système de sécurité https://legionmagazine.com/fr/2024/04/un-systeme-de-securite/ Mon, 22 Apr 2024 19:35:16 +0000 https://legionmagazine.com/fr/?p=6535

AU lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une grande partie de l’Europe était en ruines. Ce n’était pas le continent dynamique d’aujourd’hui, nombre de villes et villages n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes. Le conflit avait fait un nombre de morts ahurissant : environ 19 millions de civils et 17,5 millions de militaires.

Le rationnement, les camps de réfugiés et la malnutrition faisaient partie de la vie quotidienne. Le simple fait de survivre était une épreuve.

À l’été 1940, l’Union des républi-ques socialistes soviétiques, l’URSS, avait absorbé trois anciens États baltes indépendants : l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Elle s’était également approprié une partie de la Roumanie et pour en faire la République socialiste soviétique de Moldavie. À la fin de la guerre, les troupes soviétiques occupaient plusieurs pays d’Europe centrale et de l’est, notamment l’est de l’Allemagne. 

Que faire de l’Allemagne vaincue? La question figurait alors en bonne place à l’ordre du jour des Alliés. Le pays avait été divisé en quatre zones d’occupation. Les secteurs britannique, français et américain couvraient les deux tiers du pays à l’ouest et le secteur soviétique couvrait l’autre tiers à l’est. L’ancienne capitale de Berlin, bien que nichée au fin fond de la zone contrôlée par les Soviétiques, était aussi divisée en quatre parties.

Bien entendu, les Alliés divergeaient idéologiquement, notamment sur les indemnités de guerre. Ils s’étaient initialement mis d’accord sur des sanctions, mais les Soviétiques les poussaient à l’extrême. Ils avaient complètement démantelé quelques usines allemandes pour les transporter en URSS, et ils confisquaient la production de celles qu’il restait.

Les Soviétiques devaient utiliser leur zone à l’est, très agricole, pour alimenter le reste de l’Allemagne, en échange d’une partie des indemnités des zones occidentales. Cela ne se fit jamais. Contraints de nourrir les Allemands dans leurs secteurs en puisant dans leurs propres économies, les Alliés occidentaux changèrent d’avis et appuyèrent alors le rétablissement de l’industrie allemande pour permettre aux Allemands de subvenir à leurs propres besoins. Les Soviétiques s’y opposèrent.   

Lorsque les puissances occidentales refusèrent à l’URSS ses demandes d’indemnités plus élevées, les efforts de coopération commencèrent à aller de mal en pis. Les administrations zonales se mirent à diverger. Le 1er janvier 1947, la Grande-Bretagne et les États-Unis unifièrent leurs zones en un nouveau territoire nommé Bizonia, ce qui exacerba davantage les tensions Est-Ouest.    

Puis, en mars et avril, les minis-tres des Affaires étrangères des quatre puissances occupantes ne réussirent pas à s’accorder sur des traités de paix avec l’Allemagne et l’Autriche. Pendant ce temps, la doctrine Truman, selon laquelle les États-Unis appuieraient toute démocratie menacée par quelque entité autoritaire, exacerba encore davantage les tensions avec les Soviétiques.

L’alliance stratégique Est-Ouest de la Seconde Guerre mondiale qui avait vaincu le fascisme était irrémédiablement rompue face aux hostilités croissantes de l’après-guerre. La guerre froide commençait; le rideau de fer se concrétisait.

Des garçons font signe de la main à un avion américain livrant de la nourriture au territoire qui faisait l’objet d’un blocus des Soviétiques en 1948.
dpa picture alliance/Alamy/D3B759

Pendant ce temps, les Alliés occidentaux commencèrent à planifier une nouvelle Allemagne composée de leurs zones d’occupation. Lorsque les Soviétiques eurent connaissance de ce projet en mars 1948, ils se retirèrent du Conseil de contrôle allié qui avait été créé pour coordonner la politique d’occupation entre les zones. 

En juin, sans en informer préalablement les Soviétiques, les responsables britanniques et étasuniens introduisirent une nouvelle monnaie pour la Bizonie et Berlin-Ouest. En représailles, les Soviétiques en émirent aussi une. Les Alliés occidentaux commencèrent à craindre que leurs zones d’occupation à Berlin ne soient absorbées par l’Allemagne de l’Est que contrôlaient les Soviétiques, hostiles.

La ville avait été pilonnée par les bombardements alliés pendant la guerre, et elle était en ruines. La famine menaçait et les abris convenables étaient rares. Le marché noir avait pris le pas sur la vie économique.

Les craintes des Alliés étaient justifiées. Le 24 juin, les forces soviétiques imposèrent un blocus de toutes les liaisons par voie ferrée, par route et par canal vers Berlin-Ouest. La première crise de la guerre froide venait d’éclater. En réponse, la Grande-Bretagne et les États-Unis lancèrent un pont aérien pour le transport de nourriture et de carburant vers Berlin-Ouest à partir des bases aériennes alliées en Allemagne de l’Ouest.

La réponse au blocus de Berlin montrait à l’URSS que les Alliés pouvaient indéfiniment approvisionner la ville assiégée par avion. Le 11 mai 1949, les Soviétiques levèrent le blocus.   

Pendant ce temps, entre 1946 et 1948 et parallèlement à ces provocations, l’URSS avait soutenu les communistes partout en Europe, et ils menaçaient les gouvernements démocratiquement élus. Le résultat fut la création d’États communistes radicaux basés sur le système de gouvernement soviétique en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie, en Hongrie, en Roumanie, en Bulgarie et en Albanie. 

À bien des égards, le blocus de Berlin est la goutte d’eau qui fit déborder le vase pour certains pays européens. Le 17 mars 1948, le Royaume-Uni, la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg signèrent le Traité de Bruxelles, une alliance établie en réponse à la demande américaine d’une plus grande coopération européenne. Le bras de sa défense était basé au château de Fontainebleau, au sud de Paris, et était dirigé par le maréchal Bernard Montgomery.

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) fut créée le 4 avril 1949 devant les tensions croissantes entre l’URSS et l’Occident et la crainte d’une nouvelle expansion communiste, après le blocus de Berlin et le Traité de Bruxelles, et face à la nécessité d’un cadre de sécurité collectif contre les Soviétiques. Le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Danemark, la Norvège, l’Islande, l’Italie et le Portugal étaient les premiers membres du Traité de l’Atlantique Nord, signé à Washington, D.C.

L’OTAN a été et reste l’un des traités de défense mutuelle les plus efficaces de l’histoire. Pourtant, l’opposition à la menace présentée par l’URSS n’était que l’un des trois piliers qui avaient conduit à sa création. En plus de décourager la domination soviétique, l’OTAN avait également été conçue pour empêcher une renaissance du militarisme nationaliste en Europe et soutenir l’intégration politique européenne. 

Le principe central de l’OTAN est contenu dans l’article 5 du traité : « une attaque armée contre l’une ou plusieurs […] sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes » et chaque État membre aidera ceux qui sont attaqués en prenant « telle action qu’il jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée ». 

L’accord de l’OTAN établit le plus ancien organe de l’organisation : le Conseil de l’Atlantique Nord. Ce conseil est le principal groupe décisionnel, et ses politiques reflètent la volonté collective des membres de l’OTAN.

Quatre mois après sa création, l’alliance mit en place un comité militaire chargé de fournir des conseils en matière de défense à l’organe. Le comité est l’autorité militaire supérieure de l’OTAN et dirige ses commandants stratégiques. 

Le président du comité est élu parmi les chefs de la défense des membres de l’OTAN. Le mandat était d’un an à l’origine, mais depuis 1958, il est généralement de deux ou trois ans. 

Les signataires initiaux (à l’exception de l’Islande et du Luxembourg), ainsi que certains des membres ultérieurs, ont assuré la présidence du comité. Le Canada a assuré la présidence à trois reprises.

Au départ, l’OTAN n’avait pas de structure de commandement intégrée pouvant coordonner ses activités. Cela changea radicalement à cause de l’explosion de la bombe atomique de l’URSS le 29 aout 1949 et de l’invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord le 25 juin 1950. 

L’OTAN établit rapidement une structure de commandement consolidée. Après quatre mois à Paris, elle bâtit de nouvelles installations près de Versailles, qu’elle appela Grand Quartier général des Puissances alliées en Europe.

Le Traité de l’Atlantique Nord, qui fut signé par le premier ministre Louis St-Laurent de la part du Canada le 30 avril 1949 (à droite).
OTAN; BAC/C-00071

Le général américain Dwight D. Eisenhower, nommé en décembre 1950, fut le premier commandant suprême des Alliés en Europe. Le poste est toujours occupé par un Étasunien, qui est également commandant du Commandement européen des États-Unis.

L’OTAN créa un secrétariat civil permanent à Paris en février 1952. Le premier secrétaire général fut l’ancien général britannique Lord Hastings Ismay, qui avait été le principal conseiller de Churchill pendant la guerre. Ismay aurait notoirement dit que l’OTAN avait été créée « to keep the Soviet Union out, the Americans in, and the Germans down » (pour tenir l’Union soviétique à l’écart, retenir les Américains et garder un joug sur les Allemands, NDT). 

Le conseil est présidé par le secrétaire général. Les secrétaires généraux proviennent de plusieurs pays, mais ils sont toujours européens.

Premier conflit important de la guerre froide, la guerre de Corée amena les pays de l’OTAN à augmenter considérablement leurs forces armées. En outre, tous les membres, à l’exception du Portugal et de l’Islande (qui n’a pas d’armée), y compris la Grèce et la Turquie qui s’y joignirent bientôt, fournissaient des ressources. Le Canada était le troisième plus grand contributeur de troupes après les États-Unis et le Royaume-Uni.

En 1952, la Grèce et la Turquie furent admises à l’OTAN, puis les suivirent l’Allemagne de l’Ouest en 1955 et l’Espagne en 1982. L’admission de l’Allemagne de l’Ouest coïncida avec la création d’une alliance régionale rivale de l’OTAN : le Pacte de Varsovie, qui se composait de l’URSS et de ses États satellites de l’Allemagne de l’Est, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Hongrie, de la Bulgarie, de la Roumanie et de l’Albanie (qui se retira en 1968).

Bien que le pacte soit théoriquement basé sur la prise de décision collective, dans la pratique, les Soviétiques dominaient et prenaient la plupart des décisions. Le traité professait également la non-ingérence dans les affaires intérieures des États membres, mais l’URSS s’en servit pour justifier sa répression de la dissidence populaire en Hongrie en 1956, en Tchécoslovaquie en 1968 et en Pologne en 1981. 

En février 1966, le président français Charles de Gaulle annonça que la France se retirerait de la structure militaire intégrée de l’OTAN tout en restant membre de l’alliance. Cela entraina le départ des forces de l’OTAN qui étaient en France, notamment des unités de l’Aviation royale canadienne. Cela signifiait également un déménagement en Belgique : le quartier général de l’OTAN à Bruxelles, et le commandement suprême à Casteau, près de Mons.

L’OTAN réussit tout au long de la guerre froide à dissuader toute agression militaire et ses forces collectives ne participèrent à aucun engagement militaire. Mais, la fin de la guerre froide changea la donne et de nouvelles menaces apparurent aux côtés des anciennes.

L’OTAN changea en même temps que les menaces, passant d’une alliance exclusivement défensive à une alliance proactive. Entre 1990 et 1992, avant sa première opération majeure en réponse à la crise dans les Balkans, l’alliance mena plusieurs opérations militaires mineures, principalement des vols aériens du système d’alerte et de contrôle.

La chute de l’Union soviétique et des États d’Europe de l’Est dominés par les communistes conduisit les nations constitutives de la République fédérale de Yougoslavie à déclarer leur indépendance. Cela commença en juin 1991 par la Slovénie et la Croatie, puis suivirent la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie.     

Après l’éclatement de la Yougoslavie, l’ONU, l’OTAN et l’Union européenne fournirent des soldats de la paix. Le premier engagement de l’OTAN fut l’opération Joint Endeavour, en décembre 1995, avec la Force de mise en œuvre de 60 000 soldats. Son objectif était de faire respecter les accords de Dayton qui mettaient fin à la guerre en Bosnie.   

Parallèlement, l’OTAN opéra un blocus maritime de la région et y imposa une zone d’exclusion aérienne.  

La Force de mise en œuvre acheva ses activités en décembre 1996 et fut immédiatement remplacée par la Force de stabilisation de l’OTAN. Elle se composait d’environ 12 000 soldats qui devaient aider la Bosnie-Herzégovine à devenir un pays démocratique. L’envergure de la force fut réduite peu à peu, et la mission fut remise à l’Union européenne à la fin de 2004.

Parallèlement, à partir d’octobre 1998, l’OTAN imposa aussi une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Bosnie-Herzégovine. Lorsque ses avertissements furent ignorés, l’alliance lança une campagne de bombardement de 78 jours pour forcer la Serbie à cesser ses attaques contre le Kosovo.   

En juin 1999, l’OTAN institua une force de sécurité au Kosovo. Ce fut une réussite et sa taille diminue progressivement jusqu’à ce que les propres unités du pays puissent prendre le relais.

En aout 2001, l’OTAN lança une initiative d’un mois pour collecter des armes auprès de la minorité ethnique albanaise de Macédoine qui avait attaqué les forces gouvernementales.   

Le Canada a contribué à toutes les missions de l’OTAN aux Balkans. Quelque 40 000 Canadiens y ont servi pour l’OTAN, l’ONU ou l’Union européenne.

À ce jour, l’article 5 de l’OTAN n’a été invoqué qu’une seule fois. Moins de 24 heures après les attentats terroristes du 11 septembre aux États-Unis où furent tuées près de 3 000 personnes, l’OTAN invoqua la clause en solidarité avec les Américains.   

Ceux-ci lancèrent immédiatement leurs opérations en Afghanistan lorsque les talibans au pouvoir refusèrent de livrer Oussama ben Laden, le cerveau de l’attaque. Cela fut suivi par l’engagement de ressources militaires dans la guerre de plusieurs pays de l’OTAN et d’autres qui n’en étaient pas membres.

À partir d’aout 2003, l’OTAN dirigea la Force internationale d’assistance à la sécurité mandatée par l’ONU pour l’Afghanistan. Sa mission était de créer les conditions permettant au gouvernement afghan d’exercer son autorité dans tout le pays et d’accroitre les capacités de ses forces de sécurité.

Des soldats de la paix canadiens lors d’une mission de l’OTAN en Croatie.
iStock; MDN/ACC

Cette opération prit fin en décembre 2014 et le mois suivant, l’alliance commença à former les forces de sécurité afghanes pour lutter contre le terrorisme et maintenir la sécurité dans le pays. Cela prit fin en septembre 2021 lorsque l’OTAN cessa tout soutien à l’Afghanistan. 

Le Canada fournit des ressources militaires aux missions de l’OTAN en Afghanistan dès le début. Cependant, son rôle de combat prit fin en 2011, et les derniers Canadiens partirent du pays en mars 2014. Plus de 40 000 soldats, marins et aviateurs canadiens avaient servi en Afghanistan.

Aujourd’hui, les menaces posées par l’invasion russe de l’Ukraine, l’expansionnisme régional de la Chine, le terrorisme, le changement climatique, l’instabilité régionale, les progrès technologiques et la cybersécurité figurent parmi les principaux défis que doit relever l’OTAN. L’alliance a cependant réussi à réaliser son objectif de sécurité collective au cours des 75 dernières années. À cet égard, son approche partagée reste le meilleur pari pour que les pays occidentaux surmontent les éventuels problèmes à venir.

Les derniers membres de l’OTAN

L’OTAN créa le Partenariat pour la paix en 1994 pour tisser des liens entre l’alliance et les nouvelles démocraties d’Europe, en particulier les pays de l’ancienne Union soviétique.
Trente-quatre pays finirent par y adhérer, dont la Russie et les républiques constitutives de l’ancienne URSS, des membres du Pacte de Varsovie et plusieurs pays européens traditionnellement neutres. Le programme de partenariat servit à certaines nations à se joindre à l’OTAN.       

Le plus récent membre de l’OTAN est la Finlande (qui y a adhéré en 2023), tandis que la Suède devrait devenir le 32e membre de l’alliance une fois que la Hongrie aura ratifié sa demande. On compte parmi les autres nouveaux membres la Macédoine du Nord (2020), le Monténégro (2017), l’Albanie et la Croatie (2009), la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie (2004), et la Tchéquie et la Hongrie (1999).

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Une histoire de souvenir https://legionmagazine.com/fr/2024/04/une-histoire-de-souvenir/ Mon, 22 Apr 2024 18:55:18 +0000 https://legionmagazine.com/fr/?p=6527
Entre 300 et 400 personnes ont assisté à la cérémonie du 11 novembre à Nanton, en Alberta.
STEPHEN J. THORNE/LM

Un vent fort s’est vite levé sur la prairie albertaine dès la fin de la cérémonie du jour du Souvenir à Nanton. Plus de 10 673 aviateurs de bombardiers morts lors de la Seconde Guerre mondiale, aux noms gravés sur un mémorial en granit noir, ont pu reposer en paix : on ne décollerait pas ce jour-là.

De gros nuages noirs stagnaient au-dessus des pics enneigés des Rocheuses à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest, tandis qu’un véritable enfer se déchainait à Nanton.

Les drapeaux d’apparat claquaient au garde-à-vous avant de s’incliner et de basculer, les couronnes virevoltaient sur la pelouse devant le cénotaphe de la ville comme des boules d’herbes mortes et, le long de l’autoroute 2 qui mène à Calgary 92 kilomètres plus au nord, des voitures déviaient sur le bas-côté tandis que des panneaux de signa-lisation se cassaient en deux.

Tout ce grabuge ne semblait pas troubler les 300 à 400 personnes pressées autour du ssoldat en marbre blanc érigé sur une base en granit grise, tel un ange gardien.Sur ce monument sont inscrits les noms de 25 hommes de la région qui ont péri lors de la Première Guerre mondiale, dont sept qui ont combattu sur la crête de Vimy, et ceux de 24 autres qui ont perdu la vie lors de la Seconde Guerre mondiale.

Après la cérémonie commémorative, beaucoup de gens ont marché jusqu’au mémorial du Bomber Command, longeant son mur et passant les noms en revue. Certains se sont aventurés dans le Musée du Bomber Command du Canada. Malgré le vent, d’autres se sont attardés au monument et sur les noms.

Parmi eux se trouvait David (dont le nom de famille ne sera pas mentionné) qui a montré le nom de Harry Llewellyn Davis à sa tante, Colleen Oshanek.

Andrew Mynarski, récipiendaire de la Croix de Victoria, fait partie des quelque 10 700 noms inscrits sur le monument commémoratif du Bomber Command du Canada.
STEPHEN J. THORNE/LM
David montre le nom de Harry Davis à Colleen Oshanek (en bas à gauche). Les Calgariens Sam et Alexandra Dodd (en bas à droite) assistent à l’événement chaque année ; son grand-père, le lieutenant d’aviation Donald Sanders de Salter, en Saskatchewan, a piloté des bombardiers Halifax, Wellington et Lancaster.
STEPHEN J. THORNE/LM

Le sous-officier breveté de 2e classe Davis, mitrailleur de queue d’un bombardier bimoteur Wellington HE 568 de la 420e Escadrille de l’ARC, était l’oncle de Mme Oshanek. Ce jeune agriculteur d’Acme, Alb., au nord-est de Calgary, a été porté disparu le jour de la naissance de celle-ci, le 1er juin 1943. Il avait 24 ans.

« Je ne l’ai jamais connu », confie Mme Oshanek, qui a entendu parler de son oncle Harry pendant toute son enfance en ignorant presque tout de son histoire.

Son avion était l’un des 20 Wellington qui avaient quitté la Royal Air Force Portreath de Cornwall, en Angleterre, pour gagner la nouvelle base de Ras El Maa, au Maroc. Ils devaient joindre la campagne de bombardement précédant l’invasion de la Sicile, de l’Italie continentale et d’iles aux mains de l’Axe.

L’Afrika Korps, ainsi que les forces de Panzer commandées par le Renard du désert, le Generalfeldmarshchall Erwin Rommel, venaient de s’incliner devant la 8e Armée du lieutenant-général Bernard Montgomery en Afrique du Nord. La campagne d’Europe allait commencer.

Deux des Wellington ne sont jamais arrivés, interceptés au-dessus du golfe de Gascogne par cinq appareils de combat lourds Ju 88 basés à Lorient, en France. L’avion de Davis fut abattu par l’oberleutnant Hermann Horstmann, chef de l’escadrille 13/KG 40 de la Luftwaffe. Il était 8 h 05.

Les sept personnes à bord du Wellington furent tuées, y compris deux membres d’équipe au sol qui profitaient du vol pour gagner la nouvelle base. En plus de Davis, il s’agissait du sergent de section Alexander Theodore Sodero, pilote âgé de 21 ans de Sydney, N.-É.; du lieutenant d’aviation George Henry Hubbell, navigateur de 32 ans d’Arnprior, Ont.; du lieutenant d’aviation William Robert King, viseur de lance-bombes de 22 ans de Kingston, Ont.; du lieutenant d’aviation Robert Spencer Hollowell, radiotélégraphiste et mitrailleur de bord de 24 ans de Wolseley, Sask.; et des deux membres d’équipe au sol, l’aviateur-chef Thomas Robert Brookes de 23 ans de Montréal et le caporal James Foster MacKenzie de 34 ans, de Red Deer, Alb.

J’ai vu l’artilleur arrière sauter, mais son parachute brulait aussi. Nous n’avons vu aucun survivant; seulement des débris.

Quelques minutes après, les Allemands attaquèrent un autre avion, le Wellington HE 961 piloté par Gordon Saunders McCulloch, lieutenant d’aviation de 29 ans qui venait d’Hamilton. Il y avait aussi à bord les quatre membres de son personnel navigant et deux membres d’équipe au sol.

Les couronnes ne manquaient pas pour la cérémonie de Nanton.
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Les membres de la section canadienne du Nam Knights Motorcycle Club ont déposé une couronne au nom des Canadiens qui ont servi dans les forces américaines au Vietnam.
STEPHEN J. THORNE/LM

« J’ai dû cesser ma première attaque parce que l’avion ennemi faisait des manœuvres d’évitement et que je me suis retrouvé dans le champ de tir de la mitrailleuse de sa tourelle arrière », a rapporté l’unteroffizier Heinz Hommel, rottenlieger (ailier) de Horstmann.

« Une balle a atteint l’aile gauche de mon avion pendant le premier combat. Peu après, j’ai réussi à me placer en bonne position et j’ai attaqué droit devant d’en haut, et j’ai vu les coups de canon et de mitrailleuse toucher l’aile droite de l’avion ennemi, a déclaré Hommel. À 100 mètres de distance, j’ai vu de grandes flammes sortir de l’aile droite et prendre de l’ampleur.

Peu après, toute l’aile était en feu, puis elle s’est sectionnée. L’avion est tombé en vrille et a explosé en touchant l’eau. J’ai vu l’artilleur arrière sauter, mais son parachute brulait aussi. Nous n’avons vu aucun survivant; seulement des débris. »

En effet, les dépouilles des deux aviateurs et de leurs passagers n’ont jamais été retrouvées. Leurs noms sont inscrits sur le monument devant le musée de Nanton.

Ils sont aussi sur la liste du mémorial Runnymede, à l’ouest de Londres. On y trouve les noms de 20 450 aviateurs du Commonwealth, dont 3 050 Canadiens, dont la tombe est inconnue. Horstmann fut tué au combat au mois de décembre suivant; Hommel fut blessé quelques semaines avant la fin de la guerre.

Nanton se trouve au cœur de la région du Programme d’entrainement aérien du Commonwealth britannique, dont ont profité 131 500 aviateurs dans 107 écoles et 184 unités de soutien aux quatre coins du Canada.

L’École élémentaire de pilotage no 5 était à 28 kilomètres au nord de Nanton, à High River. À Vulcan, à 40 kilomètres à l’est, se trouvait l’école de pilotage militaire no 19, et au début, la Flying Instructor School no 2. L’École de pilotage militaire no 15 était située à Claresholm, à 40 kilomètres au sud. Elles faisaient partie d’une bonne douzaine des lieux d’instruction du programme qu’il y avait rien qu’en Alberta.

Pendant les années de guerre, de nombreux avions-écoles de couleur « jaune PEACB », pilotés par des recrues du Canada, de Grande-Bretagne, d’Australie et de Nouvelle-Zélande, passaient au-dessus des Prairies, et notamment de Nanton.

Dans son livre A Thousand Shall Fall (Mille tomberont, NDT), Murray Peden explique qu’il réservait des séances en solo en même temps que son ami Francis Plate, et qu’ils s’organisaient pour se rencontrer « au-dessus d’une ville dans le coin où on faisait de la voltige, souvent Nanton » et que « chacun s’efforçait de surpasser la performance de l’autre ».

La ville d’environ 2 200 habitants est nichée au milieu d’exploitations agricoles et de terres d’élevage vallonnées. La petite filiale de la Légion royale canadienne n’y compte que 39 membres, dont quelques vétérans du maintien de la paix du temps de la guerre froide. Ils ont 70 ans en moyenne et ont enterré leur dernier vétéran de la Seconde Guerre mondiale, un marin, il y a quelques années.

Bruce Beswick a piloté des Buffalo, des F-5 et des CF-18 au cours de sa carrière de 25 ans dans l’Aviation royale canadienne.
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La filiale de la Légion de Nanton, établie en 1919 lorsque l’organisation s’appelait Great War Veterans Association, n’a jamais eu son propre édifice. Actuellement, elle n’a pas de lieu à elle. Les réunions ont toutefois lieu une fois par mois au Town & Country Kozy Korner, le centre pour ainés qui jouxte le musée.

« Le jour du Souvenir a fait notre réputation », souligne Marylou Slumskie, secrétaire-trésorière de la filiale, fille d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale et nièce d’un autre, qui est lui-même trésorier du Kozy Korner. « La ville compte sur nous pour sa planification, son organisation et son déroulement.

Le Musée du Bomber Command nous a généreusement permis de former les rangs ici, de nous rassembler et de nous préparer avant d’aller au cénotaphe. »

A mom and her children huddle against the prairie wind.
STEPHEN J. THORNE/LM

En fait, les membres de la Légion sont très bien intégrés au musée et à ses activités. Ainsi, ils tiennent un stand aux évènements habituels où ils exposent l’un des 17 derniers bombardiers Avro Lancaster au monde : deux peuvent encore voler, mais pas celui-là. Toutefois, ses quatre moteurs Rolls-Royce Merlin qui fonctionnent encore sont d’une extrême rareté.

« Le jour du Souvenir a fait notre réputation », souligne Marylou Slumskie, secrétaire-trésorière de la filiale, fille d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale et nièce d’un autre.

Au contraire des Lancaster qui volent encore, celui de Nanton a gardé sa configuration intérieure du temps de guerre, avec un poste de radio-télégraphie, un habitacle à un seul siège et d’autres détails.

L’avion porte les marques FM 159 (F2-T) du commandant d’aviation Ian Bazalgette, Calgarien à qui fut décernée la Croix de Victoria de façon posthume. Il est décédé le 4 aout 1944 en faisant atterrir son avion endommagé, mais il a sauvé deux des membres de son équipage blessés.

Karl Kjarsgaard, époux de Mme Slumskie et conservateur du musée, dit de la filiale de la Légion que c’est « le bras droit » du musée.

Brian Stapley, président de la filiale, mais aussi plombier, monteur d’installations au gaz et monteur de conduites de vapeur à la retraite, et ancien président du Kozy Korner, habite à Nanton depuis toujours. Et il en allait de même pour son père, Lawrence, sapeur de combat pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa mère était une épouse de guerre. Les deux étaient membres de la Légion.

Comment réussissaient-ils à garder la filiale ouverte? « Avec beaucoup de peine », avoue M. Stapley.

Dans le cimetière local gisent 215 anciens combattants. Chaque année, les élèves de 9e année de la localité aident les légionnaires à mettre une croix blanche et un coquelicot à côté de chacune des pierres tombales. Le plus vieux des caveaux est le lieu de repos de Hans Henry Anderson, vétéran de la guerre hispano-américaine de 1898. Ni les Américains ni le fonds Last Post ne lui ont procuré de stèle, alors la Légion lui en a acheté une en utilisant des fonds de son casino.

La Légion a ajouté des plaques de GRC, de maintien de la paix et d’Afghanistan à celles des guerres mondiales et de la guerre de Corée qui s’y trouvaient déjà. En 2017, lors du 100e anniversaire de la plus fameuse des batailles du Canada, les légionnaires de Nanton ont dévoilé un banc commémoratif de Vimy près du cénotaphe. Et il y a neuf ans, ils ont acquis un jeune arbre descendant d’un des célèbres chênes de Vimy et l’ont planté près du monument.

« Il peine dans le climat albertain, mais il s’accroche, » a souligné Mme Slumskie.

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